Carnaval vénitien de Rosheim
- Lavoyageusebruchoise
- 2 mars
- 6 min de lecture
Chaque début de mars, Rosheim change de visage. Les pavés résonnent sous les pas feutrés des silhouettes masquées qui avancent lentement, effleurant les façades. Des éclats de soie, des broderies d’or, des volutes de dentelle s’animent. Ici, aucun cortège, aucune annonce bruyante. Juste une apparition magique au détour d’une rue, un masque énigmatique qui se tourne vers toi avant de disparaître dans la foule de visiteurs.
Depuis 2009, le Carnaval Vénitien de Rosheim, orchestré par l’Ascro (Association des Sports et de la Culture de Rosheim), offre un moment suspendu, où la cité alsacienne emprunte les fastes de la Sérénissime. Près de 120 costumés, venus de toute la France et des pays voisins, investissent la ville pour une flânerie envoûtante. Chaque costume, minutieusement élaboré, est un chef-d’œuvre d’élégance et de savoir-faire. Le spectacle se vit à chaque coin de rue, dans chaque rencontre silencieuse avec l’un de ces personnages masqués, venus offrir un fragment de mystère à ceux qui croisent leur chemin.
L’histoire du Carnaval de Venise
Si Rosheim vit le carnaval avec tant de passion, c’est parce qu’il s’inspire d’une tradition vieille de plusieurs siècles. À Venise, le carnaval naît dès le Moyen Âge, pensé comme une fête de l’exubérance et de la liberté. Il commence dix jours avant le mercredi des Cendres et s’achève en apothéose le mardi gras, juste avant que le Carême n’impose privations et austérité. Durant cette période, la cité des Doges s’abandonne aux jeux, aux spectacles et aux mascarades. Le riche devient pauvre, le pauvre devient prince, les différences sociales s’effacent derrière l’anonymat des masques. Ce grand bouleversement des apparences n’est pas qu’un caprice festif, il renforce la cohésion d’un peuple profondément attaché à son indépendance et à ses traditions.
Rapidement, la fête prend une ampleur spectaculaire. Dès le XIe siècle, le carnaval s’accompagne de jeux de force, de courses de taureaux et de spectacles en plein air. L’aristocratie vénitienne, soucieuse d’en faire un instrument de rayonnement et de contrôle, codifie peu à peu ces réjouissances tout en veillant à maintenir leur caractère populaire. C’est au XIIIe siècle que les masques apparaissent officiellement, conférant aux festivités un parfum de mystère et d’interdit. Derrière la Bauta, masque blanc au menton allongé, on chuchote, on intrigue, on échappe aux convenances. Avec la Moretta, un petit masque de velours noir tenu entre les dents, les femmes cultivent un silence troublant, accentuant l’aura de secret et de séduction qui enveloppe Venise pendant ces semaines hors du temps.

L’âge d’or du carnaval culmine au XVIIIe siècle, une époque où les bals masqués, les jeux de hasard et l’opéra attirent l’Europe entière. Mais cette liberté effrénée inquiète les nouveaux maîtres de la ville. En 1797, Napoléon met fin à la fête, craignant que les masques ne servent de refuge aux conspirateurs. Pendant près de deux siècles, la tradition s’étiole, reléguée aux souvenirs et aux tableaux de Canaletto et Guardi. Il faudra attendre les années 1980 pour voir le carnaval renaître dans toute sa splendeur, porté par des passionnés désireux de redonner à Venise son faste d’antan.
À Rosheim, cet héritage trouve un écho saisissant. La ville alsacienne, avec ses ruelles pavées et ses maisons aux teintes chaudes, semble avoir été pensée pour accueillir ces silhouettes énigmatiques. Ici, loin du tourisme de masse, l’expérience est intime. Le regard s’attarde sur un détail brodé, sur la main gantée qui esquisse une révérence, sur une coiffe majestueuse qui tangue sous la brise de mars. Chaque mouvement est une chorégraphie discrète. Mais le carnaval, à Rosheim comme à Venise, ne se limite pas à la beauté des costumes. Il est un langage en soi. Chaque posture, chaque inclinaison de tête, chaque geste raconte une histoire. Un costumé s’arrête un instant, fixe un visiteur derrière son masque immobile. Puis il reprend sa marche, glissant parmi la foule, laissant derrière lui une sensation intrigante.
Dans cet espace suspendu, où l’histoire et l’imaginaire se confondent, Rosheim devient un théâtre à ciel ouvert, un fragment de Venise posé en Alsace. La magie opère, année après année, réaffirmant la force intemporelle de cette fête née d’un besoin universel : celui de s’évader, de rêver et de se réinventer, l’espace d’un instant.
Une immersion complète à Venise
Au-delà des flâneries silencieuses, le Carnaval Vénitien de Rosheim est une immersion complète dans l’univers raffiné de Venise.
La place de la République se métamorphose en une place Saint-Marc miniature, où flotte un parfum d’Italie, tandis que le Hall du Marché devient un écrin pour un marché aux accents vénitiens. Les artisans y dévoilent des trésors façonnés avec un savoir-faire ancestral. Les regards sont attirés par les masques qui semblent presque vivants. Certains, richement ornés de dorures et d’arabesques délicates, captent la lumière et renvoient des reflets opulents. D’autres, plus sobres, jouent sur le contraste du blanc et du noir, cultivant l’élégance du mystère. Mais l’art du masque ne se limite pas à l’observation. Ici, il se vit et se crée. Grâce à l’initiative du Rotary Club, les enfants peuvent s’initier à cet artisanat en fabriquant leur propre masque. Entre feutres et accessoires de décoration, ils laissent libre cours à leur imagination, donnant naissance à des créations uniques. Non loin, les bijoux de Murano scintillent. Ces perles de verre aux reflets changeants captent la lumière et la restituent en éclats colorés. Elle témoigne du talent des maîtres verriers des îles vénitiennes. Entre colliers, pendentifs et boucles d’oreilles, l’émerveillement est le même : celui de tenir entre ses mains un fragment de Venise.

L’expérience ne saurait être complète sans une escale gourmande, où chaque saveur rappelle l’Italie. L’odeur corsée du café italien s’entrelace aux effluves sucrés des célèbres cannoli, ces délices dont la pâte dorée et croustillante cède sous la dent, révélant une crème onctueuse à la ricotta, subtilement parfumée aux zestes d’orange ou à la pistache. Un peu plus loin, un panettone moelleux dévoile son cœur généreux de fruits confits, imprégné d’arômes de vanille et d’agrumes. Sur un autre stand, les huiles d’olive d’exception s’offrent à la dégustation, révélant toute la richesse des terroirs italiens.
À mesure que le soleil décline, le carnaval change de visage. L’ombre s’étire sur les pavés, les lumières se tamisent, et Rosheim bascule dans une autre dimension. Samedi, à 19h, le parvis de l’église Saints-Pierre-et-Paul devient le théâtre d’un spectacle où le temps semble suspendu. La façade romane s’anime sous les projections lumineuses, jouant avec les courbes de la pierre centenaire. Des silhouettes masquées apparaissent, immobiles un instant, puis glissent lentement sous les faisceaux colorés, évoquant les ballets secrets des palais vénitiens. La musique baroque emplit l’espace et chaque étoffe miroitante capte la lumière. Dans ce décor éphémère, Rosheim plonge dans une parenthèse hors du temps. C’est une belle invitation à rêver encore, juste un peu plus longtemps, avant que le voile du carnaval ne retombe… jusqu’à l’année prochaine.
Retrouver son âme d’enfant
Un enfant court à travers la foule, tirant sur la main de sa mère. Il s’arrête brusquement, figé devant une silhouette drapée de velours. Le masque immaculé le fixe sans un mot. Fasciné, il hésite, puis lève la main timidement. Le costumé s’incline dans une révérence gracieuse. Un éclat de rire fuse. L’enfant se retourne vers sa mère, les yeux pétillants, comme pour s’assurer qu’elle aussi a vu ce qu’il vient de vivre. Un instant magique. Un de ceux qui marquent, qui laissent une empreinte quelque part au fond de soi.
En regardant cet enfant s’émerveiller, on se surprend à ressentir cette émotion oubliée. On se reconnecte. Parce qu’au fond, cet enfant que l’on était n’a jamais vraiment disparu. Il attend juste qu’on lui laisse un peu de place. On parle souvent de l’enfant intérieur, cette part de nous qui garde en mémoire les premières découvertes, les premiers émerveillements, les instants où tout semblait plus grand, plus beau, plus vibrant. Avec le temps, on l’étouffe un peu. Pris dans le rythme du quotidien, on oublie d’être curieux, de s’arrêter juste pour admirer, de s’étonner des petites choses. Pourtant, il est toujours là, caché sous les responsabilités et les habitudes, prêt à se réveiller à la moindre étincelle.
Prendre soin de cet enfant intérieur, c’est s’autoriser à ressentir à nouveau, à laisser place à la spontanéité et à l’imaginaire. C’est accepter que l’émerveillement n’est pas réservé à l’enfance, mais qu’il est essentiel à chacun, qu’il nourrit la joie simple et profonde de se sentir vivant. Et le Carnaval Vénitien de Rosheim est une de ces parenthèses qui nous le rappellent. C’est une invitation. Une invitation à ralentir, à s’étonner, à retrouver cette part de toi qui rêve encore. Parce que la magie n’est pas réservée aux enfants. Prends le temps de la voir, toi aussi !
Quand les derniers costumés disparaissent dans la nuit et que Rosheim retrouve son calme, il reste quelque chose dans l’air. Un souvenir, une sensation. On rentre chez soi avec des images en tête, des éclats de lumière et de couleurs encore accrochés aux paupières. Mais surtout, avec cette impression d’avoir voyagé ailleurs, d’avoir, l’espace d’un week-end, traversé un pont invisible entre l’Alsace et Venise. Et toi, quel carnaval recommanderais-tu pour vivre une expérience aussi envoûtante ? Partage ton avis en commentaire, je serais ravie de découvrir d’autres événements à ne pas manquer !
[Mise à jour : mars 2025]
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