L'histoire de l'usine Steinheil
- Lavoyageusebruchoise
- 10 juil. 2024
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 12 janv.
L'usine Steinheil à Rothau, emblème industriel de la Vallée de la Bruche, a marqué l'évolution industrielle et sociale de la région. De la sidérurgie à l'industrie textile, elle a prospéré pendant des décennies avant de céder face à la mondialisation. Liquidée en 2005, elle symbolise la fin d'une époque pour Rothau et ses habitants.
A mes yeux, l'usine Steinheil à Rothau est bien plus qu'un simple site industriel désaffecté; c'est un témoin de l'évolution industrielle et sociale de la Vallée de la Bruche. Avec une histoire marquée par des moments de gloire et de déclin, cette usine a façonné la vie de nombreuses générations.

1. De la Sidérurgie au Textile : la naissance de Steinheil
L'histoire industrielle de Rothau commence au XIVe siècle. À cette époque, la Vallée de la Bruche regorge de filons de minerai de fer, de bois et d'énergie hydraulique, favorisant l'émergence d'une industrie sidérurgique florissante. Les ressources naturelles abondantes et les innovations techniques de l'époque permettent à cette industrie de se développer rapidement et de manière durable. Pendant les XVIIe et XVIIIe siècles, Rothau devient un centre important de la sidérurgie.
Les forges et les hauts fourneaux de Rothau produisent des quantités considérables de fer et d'acier, notamment utilisés pour fournir la manufacture d'armes blanches de Klingenthal. Cependant, la première moitié du XIXe siècle voit le déclin de cette industrie, qui est en partie dû à l'épuisement des ressources locales et à la concurrence croissante d'autres régions industrielles.
C’est alors que l'industrie textile commence à prendre de l'ampleur et à se développer rapidement. Les anciens sites sidérurgiques, autrefois utilisés pour la production de fer et d'acier, sont progressivement réinvestis et transformés pour accueillir des activités de filature et de tissage. Cette réorientation industrielle, marquée par un changement radical des infrastructures et des compétences, mobilise une grande partie de la population locale pendant près de 200 ans, offrant de nouvelles opportunités d'emploi et stimulant l'économie régionale.
Dès le début du XIXe siècle, l'introduction des premières machines à filer et des métiers à tisser mécaniques a conduit les industries à s'installer près des cours d'eau, utilisant initialement la force des roues à aubes, rapidement perfectionnées en turbines. Ces turbines, d'abord entraînées par des courroies et des poulies, ont été remplacées par des moteurs électriques indépendants au XXe siècle, couplés à des dynamos puis des alternateurs pour produire le courant électrique nécessaire à l'usine. À Rothau et La Claquette, six turbines étaient alimentées par la Bruche et une par la Rothaine.
Ces turbines essentielles pour la production industrielle ont causé des conflits avec d'autres usagers de la rivière. Les disputes portaient sur le niveau du barrage de dérivation qui gênait les moulins en amont, le débit restant dans la rivière, les interruptions de débit par des usines en amont et la pollution par les colorants de la teinturerie Steinheil. Les premières plaintes apparurent en 1878, et le problème fut résolu vers 1980 par la construction d'une station d'épuration spécifique.
2. L'âge d'or de Steinheil
Paul Jacquel, dans un texte de 1963, décrit les débuts de l'industrie textile à Rothau sous l'impulsion de Napoléon Ier. En 1806, Napoléon, par le décret de Berlin, impose le blocus continental pour affaiblir l'industrie anglaise. Cela pousse à la création d'établissements industriels dans l'Empire pour pallier le manque de produits manufacturés. Jonathan Wiedemann, un homme déterminé de Rothau, construit alors une petite filature, commanditée par le drapier Mathieu Pramberger de Strasbourg.
En 1847, au décès de la veuve Pramberger, son petit-neveu Gustave II Steinheil hérite de l’entreprise avec ses quatre sœurs. Ils fondent la Société des Filatures et Tissages Gustave Steinheil et Cie. Gustave s’associe ensuite avec Jacques-Christophe Dieterlen pour créer la Société en Commandite Simple G. Steinheil - Dieterlen et Cie. Après l'annexion de l'Alsace par l'Allemagne en 1871, les associés se séparent. Gustave Steinheil reste à Rothau et transforme l'entreprise en Société en Commandite par Actions, avec ses partenaires Alfred Dieterlen et Alfred Fuchs. Cette transformation permet à l'entreprise de continuer à prospérer malgré les bouleversements politiques.

Entre 1926 et 1928, Ernest Marchal, fils de Gédéon Marchal qui avait fondé une filature à La Claquette, rachète les parts des actionnaires dispersés de la société Steinheil-Dieterlen. Les deux entités fusionnent en 1957 pour former Steinheil-Dieterlen G. Marchal Fils.
Dans les années 1960 à 1990, Steinheil traite environ 150 km de tissu par jour. Cet impressionnant volume de production témoigne de l'efficacité et de la capacité de l'usine à répondre à la demande croissante. Cette période marque l'âge d'or de l'usine, avec une production en pleine expansion et une reconnaissance internationale, consolidant sa position comme un acteur majeur dans l'industrie textile. La qualité des tissus et le savoir-faire de l'entreprise ont également contribué à établir des partenariats durables avec de nombreux clients prestigieux.
Le bureau de dessin réalise deux collections par an, une d'été et une d'hiver, et l'entreprise imprime également les dessins de certains clients. Les collections incluent des créations pour la lingerie et le prêt-à-porter, avec des dessins exclusifs et variés.
Collection Lingerie
La collection de lingerie, destinée aux hommes, femmes, filles et garçons, comprend jusqu'à 150 dessins différents, chacun décliné en quatre variantes de couleurs : rose, ciel, mauve et jaune. Chaque dessin est méticuleusement imprimé en quantités variables, avec un total impressionnant de 1 200 mètres de tissu par dessin. Cette attention minutieuse aux détails et à la qualité démontre clairement l'engagement indéfectible de Steinheil à fournir des produits non seulement esthétiquement plaisants, mais également de haute qualité, à ses clients exigeants. En intégrant des matériaux de première qualité et en s'assurant que chaque pièce est fabriquée avec soin, Steinheil s'efforce de créer une expérience unique et satisfaisante pour tous les utilisateurs de sa collection de lingerie.
Collection Prêt-à-Porter
La collection prêt-à-porter, réalisée en collaboration avec des stylistes extérieurs, comprend environ 60 dessins soigneusement conçus. Ces pièces, créées avec une attention particulière aux détails et aux tendances actuelles, reflètent l'engagement de la marque envers l'innovation et le style. Cette collaboration avec des stylistes externes permet à Steinheil de rester à la pointe de la mode et d'innover constamment, en offrant des designs uniques qui captivent l'essence de chaque saison. Cela renforce également la diversité et la richesse de la collection, en intégrant différentes perspectives et idées créatives.
3. Le Paternalisme de l'Entreprise Steinheil
L'entreprise Steinheil pratiquait un paternalisme industriel marqué, offrant une variété d'activités et de services pour renforcer la cohésion et le bien-être de ses employés. Des séances de cinéma, des goûters pour les enfants et des séjours en camp de vacances dans les Alpes faisaient partie des avantages offerts aux familles des ouvriers. De plus, une coopérative permettait des achats groupés d'alimentation, rendant les produits essentiels plus accessibles.
Il est important de replacer ces initiatives dans le contexte de l'époque. À une période où peu de personnes étaient motorisées, où la télévision n'existait pas et où le téléphone était rare, la vie sociale avait une plus grande importance. Ces activités renforçaient la cohésion, l'identité et le sentiment d'appartenance à l’entreprise Steinheil.
Pour attirer et maintenir une main-d'œuvre de qualité, l’entreprise facilitait l'installation de familles à proximité de l’usine. Ils investissaient dans des cités ouvrières, offrant des logements pour un loyer très modéré. Ces maisons, souvent divisées en plusieurs logements, étaient généralement assorties d'un jardin potager. En 1971, la Société Steinheil-Dieterlen logeait ainsi 105 familles. Lors de la liquidation de l'entreprise, la plupart de ces logements ont été acquis par leurs locataires.

Les cadres, souvent recrutés en dehors de la vallée, bénéficiaient également de logements fournis par l'entreprise. Ces maisons individuelles, situées à proximité de l'usine, permettaient des trajets domicile-travail courts, un luxe rare aujourd'hui.
Ce paternalisme industriel ne se limitait pas à des avantages matériels, il contribuait à créer une communauté soudée et stable, essentielle pour le bon fonctionnement de l'usine et le bien-être des travailleurs et de leurs familles.
4. Steinheil face aux défis de la mondialisation
Malgré les adaptations techniques permanentes et les efforts déployés pour moderniser la production, l'abandon progressif des quotas d'importation expose l'entreprise à une concurrence de plus en plus féroce des productions à bas prix venues d'Extrême-Orient et de Chine.
Cette situation entraîne inévitablement un déclin rapide et significatif de l'industrie textile locale, autrefois florissante. En 1990, l'usine devient la propriété du groupe Schaeffer de Mulhouse et est renommée Steinheil-Dieterlen, marquant une nouvelle ère pour l'entreprise.
Cependant, en 1994, Schaeffer fait l'objet d'une offre publique d'achat, qui est finalement remportée par Schaeffer-Dufour, entraînant des changements de direction et de stratégie.
En 1999, l'usine est vendue à Dominique Duburcq, puis à Hyacinthe de Montera en 2000, reflétant une période d'incertitude et de transitions.
Finalement, en 2002, la société Lifetex reprend l'usine sous location-gérance, mais malgré ces efforts, l'entreprise est liquidée en 2005, marquant la fin de nombreuses années d'activité.
En 2008, le site est racheté par la Communauté de Communes de la Vallée de la Bruche et l'usine est démolie entre 2013 et 2014.
La fermeture définitive de l'usine marque la fin d'une époque pour Rothau et ses habitants, qui avaient tant investi dans cette industrie pendant des générations. La démolition de l'usine symbolise non seulement la fin d'une industrie, mais aussi le bouleversement d'une communauté qui a dû s'adapter à un nouvel environnement économique.

En conclusion, l'histoire de l'usine Steinheil à Rothau est une saga industrielle, marquée par des innovations, des adaptations et des défis. De ses origines sidérurgiques à son apogée textile puis à sa fermeture, l'usine a joué un rôle central dans l'économie locale et l'évolution sociale de la Vallée de la Bruche.
Aujourd'hui, bien que l'usine ne soit plus, son héritage perdure dans la mémoire collective et l'histoire industrielle de la région grâce aux anciens collaborateurs de l’entreprise. Dans le cadre des Sentiers Plaisir, ils te permettent de découvrir les vestiges de l'activité industrielle et te livrent de précieux témoignages. L’itinéraire s’achève au temple de Rothau, où une projection privée te plongera dans les souvenirs des anciens de Steinheil et de l’histoire incroyable de cette belle entreprise qui a façonné ma belle Vallée de la Bruche.
Bonjour. Merci pour cette étude sur cette société. Je me trouve intéressé par l'usine Steinheil Dieterlen car des membres de ma famille y ont travaillé. Dont BOURGUER Joseph qui reçu la médaille du travail en tant qu'ouvrier tisserand le 26/02/1924. (JO à cette date page 1950) Cordialement.